"Imaginez que vous vous donnez soudain le droit d'être furieusement heureux. Oui, imaginez une seconde que vous n'êtes plus l'otage de vos peurs, que vous acceptez les vertiges de vos contradictions. Imaginez que vos désirs gouvernent désormais votre existence, que vous avez réappris à jouer, à vous couler dans l'instant présent. Imaginez que vous savez tout a coup être léger sans être jamais frivole. Imaginez que vous êtes résolument libre, que vous avez rompu avec le rôle asphyxiant que vous croyez devoir vous imposer en société. Vous avez quitté toute crainte d'être jugé. Imaginez que votre besoin de faire vivre tous les personnages imprévisibles qui sommeillent en vous soit enfin à l'ordre du jour. Imaginez que votre capacité d'émerveillement soit intacte, qu'un appétit tout neuf, virulent, éveille en vous mille désirs engourdis et autant d'espérances inassouvies. Imaginez que vous allez devenir assez sage pour être enfin imprudent.

Imaginez que la traversée de vos gouffres en vous inspire plus que de la joie. C'était tout cela être le Zubial."

Alexandre Jardin, Le Zubial

14.5.06

Première journée commémorative de l'abolition de l'esclavage : 10 mai 2006

J'ai honte, par Erik Orsenna
Le Monde,04.jan.02 - 13h06 - analyse - On se le disait, le répétait, sans oser y croire. Les masques sont tombés. L'affaire est entendue. La France, désormais, se moque de l'Afrique. De ses fidélités passées, de ses douleurs présentes, de l'avenir de sa jeunesse. Chacun chez soi. Le Nord avec le Nord. Les gueux du Sud entre eux. Merci la Méditerranée. La mer nous protège des appels des plus pauvres.
Un grand d'Afrique vient de mourir, son dernier " Vieux". Un grammairien, c'est-à-dire un gourmand de règles sous le désordre du monde. Un poète, c'est-à-dire un chasseur d'échos secrets. Un démocrate, c'est-à-dire un respectueux de la dignité humaine. Un ministre du général de Gaulle en même temps qu'un militant indomptable de son pays. Un ami indéfectible de la France en ce qu'elle a d'universel : sa langue, celle de la liberté.
Quatre-vingt-quinze années d'une telle existence, ça se salue.
On se déplace, et l'on ôte son chapeau quand on porte en terre celui qui a si hautement vécu.
Eh bien non !
Nos autorités en ont décidé autrement. Qui avait ses vœux à préparer. Qui ses vacances à ne pas interrompre. On a envoyé à Dakar un Raymond, de Belfort, et un Charles, des Côtes-d'Armor. Leur valeur ni leur personne ne sont en cause, mais leur statut. Pas de président de la République française. Ni de premier ministre. La terre sur Léopold Sédar Senghor s'est refermée sans eux.
Alors j'ai honte. Honte pour eux et pour nous, Français qu'ils représentent. Honte de leur oubli et de leur petitesse. Petitesse de vision. Croient-ils une seconde vivre en paix, de plus en plus riches, dans la citadelle Euroland.
A Matignon, depuis cinq ans, décide un socialiste. Jamais, depuis des décennies, notre aide publique au développement n'a tant baissé. Malgré une manne budgétaire jamais aussi grasse.
Alors j'avoue ne plus rien comprendre. Pour moi, le socialisme - auquel j'ai adhéré dès le cœur de l'adolescence - était d'abord la défense des plus faibles. Donc du tiers-monde.
Bonne chance, messieurs, pour les élections à venir. Les masques sont tombés. La France pour vous n'est plus qu'une mutuelle. Faut-il déplacer un peuple entier pour choisir le dirigeant d'une société d'assurances ? Un voyage à Dakar vous aurait appris, notamment, l'étymologie. Que Senghor vient du portugais senhor. Un monsieur, un seigneur. Comme celui qui vient de s'en aller.
Je comprends que vous ayez craint son ombre.
par Erik Orsenna
* Erik Orsenna est écrivain, membre de l'Académie française
LE MONDE, 04 janvier.2002, 13h06 - analyse Mise en ligne, 04.janvier 02 à 18h59Article paru dans l'édition du 05.01.02

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